Tribune Expérience de nature parue dans le Monde le 13 juin 2022

Type de ressource
  • Plaidoyer
Description Nous avons besoin de politiques ambitieuses pour permettre à chacun de vivre
des expériences de nature dès le plus jeune âge


En changeant notre modèle anthropocentrique par une prise de
conscience « écocentrique », nous dessinerons un monde en meilleure
santé, où l’être humain fait partie intégrante de la nature qui l’entoure,
expliquent les membres du collectif Tous dehors. Seule une approche
systémique permettra le développement d’un lien humain-nature.
Amélie de Montchalin, ministre de la transition écologique et de la cohésion
des territoires, a récemment appelé à la « mobilisation générale de tous les
Français » pour faire « de l’écologie notre projet national ».
Mais comment faire, quand ce phénomène silencieux s’installe dans nos sociétés
: l’amnésie environnementale – selon les termes du psychologue américain
Peter H. Kahn. Nous nous habituons, au fil des générations, à la dégradation de
notre environnement, glissant vers l’indifférence. Pourtant, les constats sont
alarmants : réchauffement climatique, sixième extinction de masse… Pourquoi
cette inaction ?
L’obésité, premier symptôme
Les premières victimes sont sans doute les enfants. Toutes les conditions sont
réunies pour les éloigner de la nature : programmes télé en continu, tablettes,
smartphones, mais aussi urbanisation croissante, confinements, réseaux de
transports inadaptés… Toute cette situation est aussi nocive pour leur santé
que pour leur avenir !
Pour nos enfants, pour notre planète, il y a désormais urgence. Pour beaucoup,
la proximité avec la nature est devenue un luxe ! Le nouveau secrétariat général
à la planification écologique doit non seulement faire le lien entre les stratégies
nationales en matière de climat, d’énergie, de biodiversité et d’économie
circulaire, mais aussi de santé et d’éducation. L’écologie ce n’est pas uniquement
gérer les externalités négatives, c’est aussi permettre à tous les Français
de bénéficier des bienfaits qu’un environnement naturel vivant et sain
peut leur apporter.
Les êtres humains, et en particulier les enfants, sont plus épanouis et heureux,
en meilleure santé physique et mentale, quand ils sont régulièrement au
contact de la nature : ce phénomène se nomme la « biophilie ». Les enfants
sont plus avancés en termes psychomoteurs et neurovisuels, plus apaisés, plus
coopératifs, plus réceptifs aux apprentissages et moins susceptibles de développer,
en tant qu’adultes, des comportements addictifs ou violents.
La reconnexion à la nature développe la sensibilité vis-à-vis de l’environnement
et l’envie de le protéger, favorisant les comportements pro-sociaux et
écologiques. A contrario, l’éloignement progressif de la nature induit chez les
enfants le syndrome du « manque de nature » qui regroupe plusieurs maux.

La santé mentale affectée
De nombreuses études ont montré les impacts négatifs du manque d’exercice
et de l’éloignement de la nature. Et la sédentarité infantile s’est nettement aggravée
depuis le début de la crise sanitaire : d’après une étude menée dans le
département du Val-de-Marne, 9 % des enfants étaient en surpoids, et 3 % en
situation d’obésité avant la crise sanitaire ; ces chiffres ont augmenté respectivement
de + 2,6 % et + 1,8 % après la crise sanitaire.
Autre impact négatif d’un éloignement de la nature, une plus grande exposition
à l’air intérieur, cinq fois plus pollué que l’air extérieur. La santé mentale
est elle aussi affectée. Selon Santé publique France (SPF), il y a eu une augmentation
de 27 % de passages aux urgences pour tentative de suicide début
2022, par rapport à la même période en 2021.
S’intéresser à notre condition humaine et à celle de notre société exige donc
de manière inexorable de se reconnecter au vivant. Il est plus que jamais nécessaire
de sensibiliser largement sur notre lien indissociable et positif avec la
nature, et ce dès le plus jeune âge.
Pour autant, il est trop facile de culpabiliser les parents. Nous n’avons pas tous
la chance de pouvoir habiter à la campagne, d’avoir un jardin, de passer nos
vacances dans des lieux préservés… Vivre en proximité avec la nature doit être
un droit fondamental pour tous les enfants de la République, et c’est au politique
de prendre ses responsabilités ! Nous avons besoin de politiques ambitieuses
et immédiates, pour permettre à chacun de vivre des expériences de
nature, régulières et variées, dès le plus jeune âge et jusqu’à l’âge adulte.
Penser l’aménagement
En changeant notre modèle anthropocentrique par une prise de conscience
« écocentrique », nous dessinerons un monde en meilleure santé, où l’être humain
fait partie intégrante de la nature qui l’entoure.
Toutes les politiques publiques doivent impérativement se saisir de l’urgence :
il ne suffit pas de dire aux parents de faire sortir leurs enfants quelques heures
par jour ou de les mettre au sport, le problème est plus profond !
Nous considérons que seule une approche systémique permettra le développement
d’un lien humain-nature. En matière d’urbanisme, il faut concevoir
l’aménagement en fonction des enjeux d’accès aux espaces verts, comme le
préconise l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et penser au développement
de la biodiversité.
En matière d’éducation, les programmes scolaires doivent légitimer les expériences
de nature, et l’éducation nationale donner les moyens de leur application.
Une formation initiale et continue des enseignants, visant à les mettre en
capacité d’intégrer le contact avec la nature dans leurs projets pédagogiques,
doit être mise en place.

Des protocoles de thérapie

Mais il faut également prévoir la renaturation des lieux d’éducation pour
en faire des lieux accueillant un maximum de biodiversité. Et mobiliser des
moyens financiers spécifiques pour permettre aux établissements d’accueil
des enfants en temps scolaire, préscolaire ou périscolaire de mettre en place
des projets d’éducation à la nature et de former les animateurs pour cela.
En matière de sensibilisation, les familles doivent être massivement informées
des enjeux majeurs d’un contact étroit des enfants à la nature, en faisant de
l’expérience de nature une grande cause nationale.
En matière d’immobilier, une fiscalité favorable doit être instaurée pour encourager
les projets de construction de bâtis à biodiversité positive.
Enfin, en matière de santé et de recherche, il est urgent que soient financés
et soutenus des projets de recherche médicale permettant l’établissement de
protocoles de thérapie par la nature pour élargir la palette d’outils de soin et
de prévention, sur le modèle de ce qui existe déjà largement à l’étranger : santé
mentale, oncologie, maladies chroniques, troubles du neuro-développement…
Faire en sorte que l’expérience de nature devienne partie intégrante du corps
social ne peut être de la seule responsabilité de la société civile. Elle est clairement
de la responsabilité du politique, et nous espérons instamment, Madame
la ministre, que ce cri d’alarme sera entendu.
Le collectif Tous dehors est une initiative collective, regroupant associations,
réseaux et fondations, cultivant l’ouverture à tous types d’acteurs (petite enfance,
sport, santé, enseignement, recherche…), qui souhaite générer une évolution
sociétale majeure : développer la conscience, à tous les niveaux de la
société, de l’enjeu de l’interdépendance entre les humains et les autres êtres
vivants.

Les signataires de cette tribune sont :
Charline Cachat, fondatrice de Wild Child ; Gillian Cante, EDIAC formations, doctorante en CIFRE ; Moina Fauchier-Delavigne, cofondatrice de la Fabrique
des communs pédagogiques ; Muriel Fifils, directrice de l’Ecole Caminando
; Roland Gérard, cofondateur du Réseau école et nature ; Claire Grolleau,
présidente de Label Vie ; Alexandre Jost, fondateur de la Fabrique Spinoza
; Eric Julien, cofondateur de l’Ecole pratique de la nature et des savoirs ;
Patricia Jung-Singh, fondatrice de la Fondation Terra symbiosis ; Ophélie Lefebvre,
présidente d’Eclaireuses et éclaireurs de la nature ; François Lenormand,
vice-président de la Fédération des clubs Connaître et protéger la nature
; Rebecca Riess, directrice de l’association Le Furet petite enfance ; David
Sève, directeur de la Fondation Nature & découvertes ; Marie Simon, chargée
de mission, collectif Pétale 07 ; Yann Sourbier, formateur, Association le Mat
Ardèche ; Béatrice Venard, autoentrepreneure, ex-conseillère pédagogique.
par Collectif